"La nuit dernière" ... un court texte que je viens d'écrire et que je livre à votre critique.
Je suis mort la nuit dernière …
Enfin … je crois …
L’impression est doublement inédite : je crois n’être jamais mort précédemment et, surtout, … je crois ! Je crois !!! Moi, l’athée stupide et irreligieux.
Mourir peut être très désagréable, c’est ce que j’ai toujours cru, engoncé dans mes certitudes de mortel bien vivant mais, quand même, bourré de cette trouille que je qualifiais depuis longtemps, in petto, de terrifiante. Ben oui, vous je n’sais pas mais moi cette affaire me terrifiait. Littéralement.
Mais tout s’arrange : je ne suis pas terrifié et il semble que je sois mort sans douleur, tranquillement, sans conscience de l’événement. Tiens, ce mot me parait approprié. Ben oui, mourir, c’est un événement, non ? Si on veut, après tout, car si tout se passe comme une lettre à la poste, en est-ce toujours un ?
Aucun souvenir d’avoir mal : est-ce pour cette raison, apparemment incontestable, que je n’ai eu la sensation d’aucune douleur. Pffff … et si j’avais beaucoup souffert et que je n’en aie pas la mémoire ? C’est gênant.
C’est aussi très curieux : je me suis endormi vivant et je me suis réveillé mort.
Mais je ne sais pas à quelle heure je suis mort et, ça, cela m’ennuie car toutes mes habitudes vont être désorganisées, c’est certain. Et je n’aime pas que mes habitudes se désorganisent sans que j’aie mon mot à dire. Où irait le monde si les habitudes de chacun s’auto-désorganisaient …
A la réflexion, je crois bien que je m’en fiche …
Habitudes, faites ce que vous avez à faire !
Et puis ce n’est pas bien grave puisque je ne parviens pas à voir les aiguilles de ma montre.
J’essaie … mais non …
Elle en avait bêtement trois et je les aimais, moi, ces aiguilles. Une toute fine, la plus longue, qui trottait allègrement à longueur de temps, tranquillement, inexorablement, sans se soucier de ce qui pouvait bien se passer autour de son protecteur. Ma préférée car j’avais, avec elle, la troublante et rassurante certitude que le temps passait moins vite, bien qu’elle allât tellement plus promptement que les deux autres qui étaient de véritables mémères tranquilles pour lesquelles mon intérêt n’a jamais été vif.
Je les aimais mais je ne les vois plus. Je sens ma montre à mon poignet mais je ne parviens pas à bouger mon bras pour réussir à la voir. Cela m’ennuie car je ne vois pas non plus ma main que j’aime bien également. Qui n’aime pas sa main ? La gauche, de surcroit, tellement utile pour « Ctrl-Alt » pendant que la droite s’occupe simultanément et noblement de « Suppr ».
« Ctrl-Alt-Suppr » : je vous ai commis tous les jours, parfois plusieurs fois de suite et cela n’a rien altéré : je suis mort quand même la nuit dernière. Tant de fois, j’ai rêvé que ces trois touches avaient le pouvoir d’arrêter un événement et je l’ai tant cru que j’ai abouti à un mélange des genres
Bon – si j’ose dire - je ne sais pas à quelle heure je suis mort mais cela ne peut être avant une heure du matin puisque je ne dors jamais avant cette heure-là.
Roger NETTE